Libro Secondo, Froberger – Jean Marc Aymes

Jean-Marc Aymes

Johann Jacob Froberger (1616 – 1667)

Libro Secondo di Toccate, Fantasie, Canzone, Allemande, Courante, Sarabande, Gigue et altre Partite (1649)

Tombeau fait à Paris sur la mort de Monsieur de Blancheroche et Méditation faite sur ma mort future

SORTIE > 24 OCTOBRE 2020

 

Après Frescobaldi, Jean-Marc Aymes aborde naturellement Froberger.

Le “Libro Secondo de 1649”, premier manuscrit du compositeur allemand qui nous soit parvenu, bien que portant la marque de son génie propre, est un évident hommage à son maître romain.
Quant au “Tombeau de Monsieur de Blancheroche” et à la “Méditation sur ma mort future”, ce sont des sommets incontestables de la littérature pour clavier. Les pièces sont interprétées sur un clavecin français et un clavecin italien, mais également sur l’orgue Robert Dallam de Lanvellec dont la couleur est certainement proche de celles des orgues sur lesquels jouait Froberger à Londres.

La direction artistique et technique de l’enregistrement de cet opus est confiée à François Eckert (Sonomaître).

 

Distinctions

Libro Secondo a été récompensé de 5 Diapason par la prestigieuse revue.
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Libro Secondo a décroché un 4/5 de Classique HD.

 

 

 

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https://www.resmusica.com/2021/01/16/une-vision-tres-informee-de-la-musique-de-froberger-par-jean-marc-aymes-lanvellec-editions/

 

5 étoiles Classica pour le Libro Secondo !
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Johann Jacob Froberger (1616 - 1667) par Denis Morrier

Bien avant François Couperin, Bach ou Händel, Johann Jacob Froberger fut “l’homme des goûts réunis”. Voyageur infatigable, véritable passeur de styles et d’idées entre les nations musiciennes d’une Europe déchirée, il s’est approprié les diverses formes et traditions d’écriture de son temps, tant germaniques qu’italiennes ou françaises, et, en fusionnant toutes ces influences, il a fait naître un nouvel art du clavier.

Baptisé à Stuttgart le 19 mai 1616, Froberger reçoit sa première éducation musicale auprès d’un père chantre puis Kapellmeister de la chapelle ducale du Wurtemberg. Dès 1618, la Guerre de Trente Ans étend ses ravages à travers les provinces germaniques. En 1634, le Wurtemberg protestant est envahi et dévasté par les troupes impériales catholiques. Paradoxalement, alors que sa patrie est la proie des armées de Ferdinand II, Johann Jakob rejoint la capitale du camp ennemi. Le 1er janvier 1637, il obtient la charge d’organiste à la cour de Vienne. Le 22 juin suivant, l’Obersthofmeister rend compte au nouvel Empereur, Ferdinand III, du souhait du musicien d’aller étudier à Rome auprès de Girolamo Frescobaldi (1583-1643), l’éminent organiste de Saint Pierre.
L’intendant précise qu’il a demandé au confesseur de l’Empereur d’inciter le jeune homme à se convertir au catholicisme. C’est donc nouvellement baptisé et doté d’une bourse de 200 Gulden que Froberger arrive dans la Cité éternelle à la fin de l’année 1637.
Jusqu’à son retour à Vienne, en avril 1641, il suit l’enseignement du maître qu’il s’est choisi. Héritier privilégié de deux traditions contrapuntiques, l’allemande et l’italienne, le jeune organiste réinvente auprès de son mentor l’écriture fuguée dans ses propres compositions polyphoniques : canzon, capricci, fantasie ou encore ricercari. Frescobaldi lui révèle également les nouveaux usages de la musica moderna, mais aussi le stile fantastico dont il est l’instigateur. Dans leurs toccate et danses, le maître et l’élève usent de dissonances expressives et de figures de style évocatrices jusqu’alors jugées illicites. De même, Frescobaldi prône dans l’interprétation, à l’orgue comme au clavecin, une liberté rythmique inédite que Froberger fera sienne et désignera dans ses manuscrits par l’expression “jouer à la discrétion”.
Ces nouveaux modes d’écriture et de jeu ont été théorisé par un ami romain de Froberger : Athanasius Kircher (1602-1680). Dans sa Musurgia Universalis (Rome, 1650), ce savant jésuite distingue huit styli expressi, dont le stylus phantasticus. Kircher convoque alors, à titre d’exemples, les compositions de son compatriote (et en particulier sa Fantasia sopra “ut ré mi fa sol la”) aux côtés de celles de son maître Frescobaldi. Selon Kircher, cette “méthode extrêmement libre de composition” est “propre aux instruments”. Elle se caractérise par l’utilisation de sujets musicaux inventés (c’est-à-dire non empruntés à un répertoire préexistant) et “a été créée pour montrer son habileté, pour révéler les règles secrètes de l’harmonie, l’ingéniosité des conclusions harmoniques et la construction des fugues”.

Le Libro Secondo de 1649

Ce nouvel « art de la fugue » et cette nuova maniera au clavier transparaissent à chaque page du somptueux recueil que l’organiste viennois offre à son Empereur, le 29 septembre 1649. Ce manuscrit autographe, décoré par Johann Friedrich Sautter (un ami wurtembergeois du compositeur) est intitulé Libro Secondo : le Libro primo étant perdu, il est de facto la plus ancienne source connue des oeuvres de Froberger. Il réunit vingt-quatre pièces, ordonnées par formes, et s’ouvre par un groupe de six toccate : une proposition habituelle et logique.
En effet, ces compositions, proches du prélude, d’allure libre et improvisée, servent généralement d’introduction : à un épisode liturgique (comme les deux toccatas pour l’élévation qui sont plutôt destinées à l’orgue), voire à d’autres pièces musicales (fugue, danse …) et donc, a fortiori, au recueil tout entier. Les toccate s’organisent en plusieurs sections vivement contrastées. Elles alternent des épisodes virtuoses, parés de brillants passaggi, avec de brefs passages de contrepoint imitatif. Opposant les procédés d’écriture et les métriques, multipliant les effets rhétoriques et théâtraux (tels les saisissants chromatismes descendants de la Toccata II), ces microcosmes formels et expressifs révèlent la parfaite appropriation du stile fantastico de Frescobaldi par son disciple viennois.
Après les toccate surviennent deux groupes de six fantaisies et de six canzoni, pouvant indistinctement être exécutés à l’orgue ou au clavecin. Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser penser, les Fantaisies de Froberger sont des pièces polyphoniques contrapuntiques en style sévère. Leur appellation se justifie par la multiplicité des motifs qui y apparaissent et la liberté de leur traitement. La Fantasia sopra ut ré mi fa sol la propose un vrai tour de force, conciliant unité et diversité. Entièrement fondée sur un unique thème générateur (l’hexacorde et ses multiples transpositions), elle introduit une grande variété d’idées secondaires, ainsi que des figures rythmiques de plus en plus brèves et des contrastes métriques saisissants. Un même goût spéculatif et de semblables jeux solmistiques transparaissent dans la Fantasia sopra Sol La Ré : sur la partition fleurit en maints endroits l’assertion spirituelle Lascia fare mi (« laisse-moi faire »), et sa transcription musicale (La sol fa ré mi).
Comme les Fantaisies, les Canzone revêtent une écriture polyphonique stricte, mais elles s’en distinguent par l’emploi d’un thème à l’allure rythmique plus légère. Le théoricien allemand Michael Praetorius, dans son Syntagma Musicum
(1619), rappelle qu’elles doivent « se dérouler gaiement et rapidement, avec beaucoup de notes noires ». Initialement, leur thème principal était caractérisé par le mètre dactylique (longue-deux brèves, souvent transcrit par noire-deux croches). Si ce motif prédomine encore dans les canzone II et III, Froberger introduit une plus riche diversité d’élaboration rythmique dans ses autres fugues.
Le recueil s’achève par six suites de danses spécifiquement composées pour le clavecin, les dernières étant intitulées partita. Ce sont les plus anciennes illustrations de cette forme « classique » qui nous soient parvenues, Froberger étant conséquemment considéré comme « le père de la suite pour clavier ». Il en a cristallisé la composition autour de quatre « grandes danses » (selon l’acception du XVIIIème siècle) de goût français, qu’il dénomme parfois « à l’italienne » : allemand(a) – courant(e) – saraband(a) – gigue. Ces suites serviront longtemps de modèle aux compositeurs ultérieurs, tels Fischer, Pachelbel, Bach ou encore Händel. Ainsi, soixante-dix ans après la mort du compositeur, en 1737, le catalogue des éditeurs amstellodamois Roger et Le Cène propose toujours plusieurs de ces compositions dans ses Dix suittes de Clavecin composées par Frobergue.

Interpréter Froberger par Jean-Marc Aymes

Enregistrer le premier manuscrit de Froberger qui nous soit parvenu, après avoir enregistrél’intégralité de la musique publiée de Frescobaldi, ainsi qu’une partie de celle restée en manuscrit, semble tout-à-fait naturel. Par son ordonnance même, le Libro secondo de 1649 est un évident hommage
du jeune allemand à son maître romain.
Ce livre s’ouvre en effet par une série de toccate, mettant en avant ce genre relativement nouveau, comme Frescobaldi le fit avec ses deux livres de 1615 et 1627. Ces oeuvres, hormis les deux toccate da sonarsi alla Levatione, sortes de copier/coller du modèle romain, adoptent cependant un systématisme de construction (prélude à caractère improvisé, suivi de deux ou trois passages en imitation, exploitant parfois un thème unique, entrecoupés de passages libres) éloigné des capricantes architectures frescobaldiennes. Les fantasie qui suivent sont, quant à elles, un mélange de la variété du capriccio (la première fantaisie est d’ailleurs basée sur l’hexacorde ut, ré, mi, fa, sol, la, tout comme le premier des Capricci (1624) de Frescobaldi) et de la gravité du ricercar. Elles sont sensiblement différentes des fantaisies très intellectuelles de 1608, “premières fatigues” (“mie prime fatiche”) de Frescobaldi. Viennent ensuite des canzoni qui révèlent l’importance d’un genre trop négligé. S’il a connu son heure de gloire avec l’école napolitaine fondée par Giovanni de Macque, c’est à lui que Frescobaldi consacrera son dernier opus, si l’on admet que les Canzoni publiées à Venise en 1645 sont bien du compositeur romain, décédé en 1643. Les Canzoni du livre de Froberger sont en tout cas d’une écriture extrêmement soignée et d’une architecture élaborée.
Si ces oeuvres sont une sorte de “chant du cygne” du genre, il en est différemment des six partite qui ferment le livre. Froberger nous offre les premiers exemples d’un genre qu’il a largement contribué à établir : la suite de danses. Que ce soit pour la toccata ou pour ces suites “à la française”, nous avons ici les modèles que reprendront pratiquement tous les compositeurs, Johann Sebastian Bach en premier.
Quand on se familiarise avec la musique du grand virtuose et du grand voyageur que fut Froberger, on constate cette volonté de mélanger les styles et de “flouter” les contours d’une forme donnée. Se pose ainsi le choix du ou des instruments pour interpréter sa musique. Par leur caractère très “italien”, on pourrait penser que les toccate, encore une fois hormis celles pour la Levatione, spécifiquement destinées à l’orgue, sont plus évidentes sur un instrument de facture italienne. Les trois premières se retrouvent pourtant dans le célèbre manuscrit Bauyn, principale source de musique française pour clavier du XVIIe. La toccata en ré, deuxième du livre de 1649, est d’ailleurs notée dans Bauyn : “fatto a Bruxellis anno 1650”, “fatto“ signifiant ici “joué”, puisque l’oeuvre était déjà copiée au moins une année auparavant. Froberger a certainement joué ces trois toccate lors de son passage à Paris à la fin de l’année 1652.
Il a donc fait sonner des instruments de facture française ou flamande. Quant aux deux toccate per la Levatione, bien que d’un style profondément italien, dans la droite lignée des durezze et stavaganze napolitaines et des oeuvres romaines similaires, Froberger, lors de son bref séjour à Londres, les a peut-être jouées sur des instruments proches de celui de Dallam (construit en 1653) qui se trouve maintenant dans l’église de Lanvellec, si ce n’est sur des orgues que Robert Dallam lui-même a construites avant sa fuite en Bretagne. Il faut avouer que les magnifiques flûtes de Lanvellec donnent aux Canzoni de Johann Jacob une couleur particulière, plus gaie que l’atmosphère triste et pesante de l’Angleterre puritaine des années 1650…
Pour ce qui est du choix des clavecins, à part pour les partite, d’esthétique décidément française, et donc plus à même de faire sonner un clavecin de même esthétique, il a donc été guidé simplement par un goût personnel.
Et par une recherche de diversité de couleurs, nécessaire dans ce genre d’“intégrale“. Même si Froberger n’a pu connaitre qu’à la fin de sa vie les instruments du génial Vincent Tibaut (1647-1691) “de Tolose”, la richesse de timbres qu’offre la splendide copie réalisée par Emile Jobin m’a paru tout-à-fait adéquate au style raffiné du compositeur.
Quelques mots encore pour expliquer quelques choix interprétatifs. Concernant l’ornementation, même si celle des toccate est très précisément notée dans le manuscrit, du moins dans les passages affetti (passages “libres“),
certains manuscrits postérieurs, pas forcément d’oeuvres du manuscrit de 1649, sont notés avec beaucoup d’ornements rajoutés, parfois jusqu’à la surcharge. Il semble donc assez évident d’orner des pièces notées ici de manière assez sobre. Concernant les toccate, canzoni et fantasie, je me suis plutôt rapproché d’une ornementation italienne (trilli, diminutions, inégalités “lombardes“, etc.), tandis que le répertoire des clavecinistes français (Chambonnières, Louis Couperin, d’Anglebert…) fut une source d’inspiration pour orner les partite (tremblements, pincés, ports de voix, etc.). Cette volonté de synthèse de styles est, dès 1649, une des grandes fascinations qu’exerce la musique de Froberger.
Concernant l’interprétation en mode ternaire de certains passages notés en binaires (fin de la toccata III par exemple), je renvoie au passionnant article de Lucy Hallman Russel, “Twofor- three Notation in Froberger“ (Froberger,
musicien européen – Klincksieek, 1998).

Enfin, à part la deuxième, aucune des suites de danses du manuscrit de 1649 ne compte de gigue, contrairement à la plupart des suites postérieures de Froberger (dans lesquelles la gigue sera d’ailleurs souvent en seconde position, après l’allemande). Toutefois, certaines versions plus tardives des suites de 1649 se voient adjoindre des gigues, dont l’authenticité semble parfois douteuse. Pour en donner un exemple, essentiellement en raison de ses qualités musicales, je me suis donc permis d’ajouter une de ces gigues à la fin de la quatrième suite.
Pour compléter le programme de cet enregistrement, le choix du Tombeau sur la mort de Monsieur de Blancheroche (1652) a été dicté par la proximité chronologique avec le Libro Secondo, tandis que celui de la partita s’ouvrant par la célèbre Méditation faite sur ma mort future s’est imposé de lui-même : cette suite est tout simplement un des grands chefs-d’oeuvre du génial claveciniste.

Jean-Marc Aymes

Jean-Marc Aymes est claveciniste. Il a étudié aux Conservatoires de Toulouse, de La Haye et de Bruxelles, et a fait partie de nombreux ensembles de musique ancienne.
Avec la soprano María Cristina Kiehr il fonde en 1992 Concerto Soave, formation musicale à effectif variable, dont il est aujourd’hui le directeur artistique. Spécialisé dans le répertoire italien du 17e, l’ensemble a acquis une renommée internationale, entre autres grâce à une série d’enregistrements pour Harmonia Mundi, le label Ambronay, Zig-Zag Territoires et Lanvellec Editions.
Il mène aussi une carrière de claveciniste soliste. Il est ainsi le premier à avoir enregistré l’intégralité de la musique pour clavier publiée de Girolamo Frescobaldi (Ligia Digital), saluée par la critique. Sa discographie est riche de plus d’une soixantaine d’enregistrements.
Jean-Marc Aymes a dirigé plusieurs productions d’opéras et d’oratorios (Monteverdi, Haendel, Purcell, Campra…), dont nombre de premières mondiales (Cavalli, Perti, Colonna…). Il a aussi participé à de nombreux projets de musique contemporaine, soit au sein de Concerto Soave ou de l’ensemble Musicatreize, soit en tant que soliste (plusieurs pièces lui ont d’ailleurs été dédiées).
Depuis 2009 il enseigne le clavecin au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, et depuis 2019 la musique baroque au sein de l’I.E.S.M d’Aix-en-Provence. Depuis 2007, il assure la direction artistique du festival Mars en Baroque à Marseille.